Des Cravanchois se souviennent des heures historiques de novembre 1944.
Témoignages recueillis à l’occasion du 60ème anniversaire de la Libération de Cravanche le 20 novembre 1944.
Pierre VAILLANT « Nous avons creusé les tranchées antichars! »
« Cette fois là, impossible de se soustraire au travail obligatoire, à cause des risques encourus par la famille. Réquisitionnés, nous nous rendons place Herriot où les Todt nous attendent.
(TODT: général, ingénieur allemand qui a entre autre, érigé le mur de l’Atlantique)
On reçoit un pic, une pelle et en route vers le Bois Joli, versant opposé, escortés sous la menace d’une mitraillette. La journée continue avec un bouillon de choux à midi, offert. La tranchée sur le chemin départementale n°16 a été réalisée en 2, 3 jours.
Le 17 novembre, alors que la tranchée du pré de la ferme MULLER est presque achevée, les alliés nous arrosent depuis Champagney. Précédé d’un léger bruissement le premier ’’shrapnell’’ produit sa corolle noire à 200 ou 300 mètres au-dessus du pré MULLER. Les Todt disparaissent rapidement dans le bois, une habitude que n’avons pas. Une demi-douzaine de ces obus explose ce jour là, heureusement pour nous, jamais à la verticale de la tranchée.
Le 18 novembre, mon voisin et moi-même, décidons de ne pas nous rendre au travail
Immédiatement convoqués à la commandanture et menacés de déportation, nous promettons d’être présents le lendemain. Nous n’avons pas eu à le faire puisque les occupants se retirent du village dans la nuit avec la DCA installée au pied du Salbert ».
Hélène BAULERET
« Depuis le mois d’octobre, nos libérateurs sont bloqués aux alentours de Ronchamp. Tous les jours nous entendons le bruit des départs et des explosions d’obus.
J’habite une des dernières maisons de Cravanche sur la route vers Châlonvillars.
Nous sommes huit avec des voisins à nous réfugier dans le sous-sol de la maison pour passer la nuit. Des lits de fortune constitués de planches, de grillage et de paille, sont là depuis juin1940, époque où des soldats français étaient hébergés dans la maison.
Le 19 novembre, les tirs sont dirigés sur le fort du Salbert. De la fenêtre de la fenêtre, à l’arrière de ma maison, je vois même une boule de feu, à l’orée du bois voisin.
Le calme est revenu le matin. Je constate à ma grande surprise que les versants dénudés du Salbert me permettent de distinguer des soldats qui circulent sur certains talus du fort. Je prends conscience rapidement qu’il s’agit de soldats français.
En fin de matinée, j’aperçois d’autres soldats français qui sortent du bois de la colline du Mont juste en face de ma maison; ils m’apprennent qu’ils viennent d’Essert. Ils se regroupent sur place en attendant des ordres. Ils reçoivent et envoient en effet de nombreux messages »
Il s’agit en toute vraisemblance des hommes d’une compagnie du bataillon de choc qui a traversé la forêt du Mont, et qui a pour ordre d’attendre l’arrivée des chars pour entrer en action.
« En début d’après-midi, les soldats nous disent « ça va mal ; le reste ne suit pas ; il va falloir partir et vous aussi ». Nous sommes épouvantés et puis soudain, nous entendons « Allô ! Allô ! Les enfants arrivent … » Ce sont les chars ! Nous sommes sauvés ! J’assiste à ce défilé d’engin qui se dirigent vers Belfort ».
Hélène GIRARDEY
« Habitant la maison familiale face à la mairie-école, je suis aux premières loges pour suivre les événements de la libération de Cravanche. Il est à 7h30 du matin, ce mercredi 20 novembre lorsque mon père, Marcel PANGON maire de la commune, aperçoit les premiers militaires dans le village. Il va à leur rencontre avec d’autres Cravanchois pour les accueillir et leur apporter des casse-croûte. Mon père et mon frère Maurice alors âgé de 22 ans, sont d’intervention de tous côtés pendant cette rude journée et particulièrement pour les blessés.
Une des sections des commandos part en reconnaissance vers le bas du village. A l’angle de l’usine Alsthom existe une baraque en bois. En approchant de cet endroit nos éclaireurs militaires se font littéralement aligner par une patrouille allemande cachée dans la baraque; résultats: 2 blessés français, ainsi que le jeune lieutenant qui commandait la patrouille allemande.
Celui-ci grièvement touché agonise dans le pré à l’emplacement de la pharmacie actuelle. Il demande la bénédiction d’un prêtre avant de mourir. Un Père de Cravanche accepte de se déplacer.
Les blessés puis les morts sont ramenés dans les locaux de l’école communale.
Joseph CANAL, directeur d’école et secrétaire de mairie ainsi que son épouse Jeanne habitent au 1re étage du bâtiment scolaire. Jeanne, membre de la Croix Rouge, se mobilise pour apporter les premiers soins aux blessés et abriter les morts. Une salle du rez-de-chaussée est aménagée en une infirmerie de fortune. En fin de matinée, deux soldats français tués dans des accrochages au bas du village sont ramenés au bâtiment scolaire.
Depuis une quinzaine de jours, un personnage suspect se faisant passer pour un résistant est logé dans la maison KOENIG (au-dessus de la boulangerie actuelle) Il est démasqué en fin de journée comme étant un informateur de la Gestapo.
Arrêté par les soldats, en présence de mon père, le suspect est conduit immédiatement au bas du village pour être interrogé. Sortie pour aller prendre des nouvelles de mes beaux-parents GIRARDEY qui habitent une ferme voisine, je rencontre ce groupe et intriguée, je l’observe à distance. A la suite d’un geste ambigu du suspect, un des militaires de l’escorte tire sous mes yeux et blesse mortellement le suspect. La scène m’impressionne profondément ; les militaires ne tergiversent pas. Le corps est laissé au bord de la rue à hauteur de la ferme de mes beaux-parents. Les commandos sous pression poursuivent sans perte de temps leurs opérations de nettoyage.
Les morts de la journée sont enterrés provisoirement dans le jardin qui existe alors à l’emplacement du nouveau bâtiment de l’école élémentaire. Plus tard, ils seront transférés au cimetière de Valdoie.
Le colonel BOUVET qui commande les commandos d’Afrique et de Provence passe la nuit du 20 novembre dans une salle de la mairie, celle aujourd’hui occupé par la médiathèque communale ».
« Pendant toute la journée du 20, des tirs épisodiques de mortiers allemands, vraisemblablement depuis Offemont, atteignent Cravanche.
En début d’après-midi, Madame RIGET, une veuve qui habite au 2e étage de la maison PANGON à côté de l’école, néglige de descendre s’abriter à la cave pendant une alerte. Elle est tuée par un projectile dans son appartement. »
Gilbert LACLEF
« Les tirs de mortiers allemands du 20 novembre, contraignent à nouveau la plupart des Cravanchois à se réfugier dans la cave de leur maison. C’est le cas des habitants de la maison que ma famille habite, au n°1 rue Favre qui jouxte la rue du Salbert.
Au soir du 20, alors que je me trouve dans la cave avec ma famille et des voisins, un obus de mortier atteint la maison. L’obus explose à proximité des toilettes du rez-de-chaussée où se trouve momentanément par un malencontreux hasard, Bernard GEORGEON. Bernard est grièvement blessé à l’épaule et à une jambe. Nous le ramenons au sous-sol où il est installé sur un lit de fortune. Les soldats nous fournissent des équipements de 1er secours. Mais Bernard ne peut pas être transporté dans un hôpital compte tenu des événements et il succombe rapidement ; il avait à peine 15 ans »
« Les tirs de mortiers allemands du 20 novembre, contraignent à nouveau la plupart des Cravanchois à se réfugier dans la cave de leur maison. C’est le cas des habitants de la maison que ma famille habite, au n°1 rue Favre qui jouxte la rue du Salbert.
Au soir du 20, alors que je me trouve dans la cave avec ma famille et des voisins, un obus de mortier atteint la maison. L’obus explose à proximité des toilettes du rez-de-chaussée où se trouve momentanément par un malencontreux hasard, Bernard GEORGEON. Bernard est grièvement blessé à l’épaule et à une jambe. Nous le ramenons au sous-sol où il est installé sur un lit de fortune. Les soldats nous fournissent des équipements de 1er secours. Mais Bernard ne peut pas être transporté dans un hôpital compte tenu des événements et il succombe rapidement; il avait à peine 15 ans »
Alexandre DAGAEFF
A la libération, Alexandre DAGAEFF a 17 ans ; il habite au n°40 de la rue de Madagascar tout près de la voie ferrée à 200 mètres environ du pont de Cravanche.
« Depuis le mois de mai les alertes aériennes sont fréquentes. La plupart des gens du quartier se retrouvent dans l’abri aménagé au square de la Roseraie.
L’immeuble que j’habite a été touché lors du bombardement des alliés le 11 mai 1944, épargnant cependant notre appartement situé côté est. Depuis l’appartement en ruine et abandonné au 2e étage, je peux observer, au travers du pan de mur détruit, les mouvements dans la rue de Ferrette et les passages de trains.
Dimanche 19 novembre1944, le temps est beau et froid. Dans les rues du quartier, une patrouille allemande circule, aux aguets pour rafler les civils valides qu’elle trouve.
Lundi matin 20 novembre, il pleuvote et le ciel est brumeux. Vers 11 heures, un bruit circule : les Américains sont à Cravanche. Je me rends à mon observatoire tout proche. Je vois alors des soldats allemands en file indienne se diriger le long de la voie ferrée vers le passage à niveau de Cravanche et d’autres soldats, immobiles, surveiller la rue de Ferrette. »
Il s’agit de la contre-offensive allemande sur Cravanche que les Commandos d’Afrique ont un grand mal à contenir jusqu’à l’arrivée des chars.
« En début d’après-midi, des tirs de mortiers sont dirigés sur Cravanche. Je rejoins mes parents à la cave. Vers 15h, j’entends des cris. Est-ce de nouveau une rafle ? Je me hasarde hors de la cave. Je vois alors plein de monde au croisement de la rue Paul Bert. J’entends parler français et je découvre qu’il s’agit de nos soldats.
Confiant, je pousse ma reconnaissance jusqu’au faubourg des Vosges (actuellement Rue Jean-Jaurès ) Là, je vois un char français flamber et des soldats progresser vers le centre de Belfort. Un soldat allemand gît et râle sur le trottoir.
Je reviens sur mes pas et je remonte vers le pont de Cravanche. Je côtoie un soldat africain mort sur le bord de la route, avec un trou dans le casque. J’en garde aujourd’hui une image toujours aussi saisissante.
Des chars stationnent maintenant rue de Madagascar. Un PC est installé au n°16 du Faubourg des Vosges où se trouvait un café à l’époque. Je vois alors des hommes sortir de partout, certains avec des brassards de la Résistance »
La libération totale de Belfort durera encore jusqu’au lundi 25 novembre.