René Schigand, un homme ouvert, engagé dans de multiples activités, est aussi historien à ses heures. Au fil des conversations à bâtons rompus, que nous avons eues sur l’histoire de Cravanche, René a commenté et mis à notre disposition ses notes manuscrites, un précieux condensé historique personnel, depuis les origines de Cravanche jusqu’à nos jours.
Ses sources d’information sont bien sûr ses souvenirs familiaux, mais aussi les lectures des cahiers de l’Abbé Descharrières de Valdoie, déposés à la bibliothèque municipale de Belfort.
René Schigand naît en 1923, au n° 70 de la rue de Cravanche, une ancienne ferme héritée de son grand père maternel. Les Schigand sont originaires d’Alsace. Après « l’Ecole Pratique », René rentre à l’Alsthom à « l’outillage central », où il fait une carrière de plus de 40 ans. Le 14 septembre 1944, victime d’une rafle par les Allemands, il est transféré en Allemagne. A la fin de la guerre il réintègre Alsthom. Puis en 1951, il se marie avec Juliette née Allimann, alsacienne originaire de Carspach, dans le pays voisin du Sundgau. Le couple s’installe dans la maison familiale de la rue de Cravanche.
Il faut savoir que l’arrière grand-père maternel de René, François-Xavier Péquignot, était un pur Cravanchois, qui exploitait une ferme rue Briand, dans les années 1850. Il était aussi propriétaire du lieu dit « les prés charbonniers », à l’angle de la rue de Vesoul et de la rue de Cravanche (maintenant rue de la 1ère armée); sur une partie de ces terrains se trouve actuellement le stade de la Méchelle. Sur ces prés, à partir de 1880, seront construites les maisons de trois des descendants Péquignot.
René va être un acteur de l‘histoire des Pères Missionnaires à Cravanche. Mais avant de lui passer la parole, évoquons l’histoire singulière des Schigand, leur départ d’Alsace, leur parcours dans notre territoire de Belfort.
A propos de l’arrivée des Alsaciens après la guerre de 1870.
La famille Schigand, originaire de Metzeral dans la vallée de Münster, est venue s’installer à Koestlach près de Ferrette. C’est là que Joseph Schigand arrière grand-père de René, exploite une ferme et élève huit enfants lorsque la guerre de 1870 survient. La défaite de la France entraîne l’annexion de l’Alsace à l’Allemagne. Bien qu’âgé de plus de 60 ans, mais soutenu par ses enfants, Joseph opte pour la France. La « tribu » quitte la ferme en 1872, passe la nouvelle frontière, qui n’est qu’à 10 kilomètres de Koestlach, et arrive à Grandvillars, accueillie par les Viellard qui mettent à sa disposition une de leur ferme. Voilà Joseph installé, métayer, avec l’espoir au cœur d’offrir de nouvelles possibilités à ses nombreux enfants.
En effet ceux-ci, progressivement embauchés dans les industries « Viellard », fondent leur famille respective à Granvillars. Charles, le père de René, naît en 1884 dans l’une d’elles.
Il débute sa carrière chez « Viellard » , puis chez « Japy » à Dasle. Mais en 1910 il est attiré par le développement de la SACM à Belfort, où il se fait embaucher. C’est alors qu’il s’installe à Cravanche et loue une chambre au-dessus de la boulangerie Koenig. En 1913 il épouse Marie Péquignot de la rue de Cravanche ; c’est là, en 1923, que naît René Schigand.
« La Maison des Pères » à Cravanche.
Les terrains sur lesquels sont construits aujourd’hui, la mairie, la chapelle de Cravanche, et une partie du quartier appelé le « Domaine des Pères », appartenaient à la famille Dejuvigny, une vieille famille de la région. Mademoiselle Marie Dejuvigny habitait à Cravanche bien avant 1900 et exploitait ses terres, en grande partie des vergers et des pâtures. Marie, mandatée par un testament de sa famille, a mission de léguer ses biens à une communauté religieuse. Après deux voyages à Rome, la légation est conclue avec la Congrégation des Rédemptoristes de la Province d’Alsace. Cette congrégation, implantée à Strasbourg et aussi aux Trois Epis près de Colmar, comprend des Révérends Pères qui officient et prêchent, et d’autre part des Frères généralement ouvriers ou artisans, pour le compte de la congrégation. Les Pères d’Alsace ont créé plusieurs missions en Bolivie.
Au cours de l’année 1934, la congrégation délègue à Cravanche le Révérend Père Albert Marie Stocker, avec pour mission d’administrer ce legs. C’est alors que le RP, en collaboration avec l’architecte M. Meunier, lance le projet de construction de la « Maison des Pères », l’actuelle mairie. L’inauguration du bâtiment a lieu le 1er août 1936. Le rez-de-chaussée surélevé est occupé par la chapelle ouverte au public, une sacristie et un parloir. Les 1er et 2ème étages sont réservés au logement des Pères. Le sous-sol comprend les cuisines, le réfectoire, des pièces de rangement et la chaufferie.
La maison est prête à accueillir cinq Pères et quatre Frères d’origine alsacienne. Ces derniers sont particulièrement compétents dans la culture de la terre. Ils plantent de nombreux arbres fruitiers et des sapins. Ils construisent une petite étable qui abritera deux vaches, avec des espaces pour des porcs, des lapins, des canards et des poules. Ils aménagent une remise et installent une clôture. La nouvelle propriété des Pères devient pour plusieurs années une véritable exploitation. A noter que pendant les années qui précéderont le départ des Pères en 1962 les enfants de l’Assistance Publique seront sollicités pour apporter une aide à cette exploitation.
En 1937, le RP. Stocker, recteur de la maison, est sollicité par Mr et Mme Coignus, un couple de retraités sans enfant pour construire une maison, devant l’église actuelle, le long de la rue de Vesoul, sur le terrain de la communauté des Pères. Les Coignus souhaitent pouvoir finir leurs jours dans la tranquillité. A leur mort, il est convenu que la propriété revienne à la congrégation. Le projet est accepté, et la construction, réalisée par une entreprise professionnelle, est terminée en 1938. Le couple en prend possession et y demeure jusqu’en 1956.
Marie Dejuvigny s’éteint en 1939 à la veille de la guerre, sa légation réussie. C’est la fin d’une époque.
Jusqu’en 1948 de nombreux Pères d’Alsace viennent faire des séjours avant de repartir pour des missions lointaines. Après cette date, ce sont les Pères de Saint Nicolas de Port, près de Nancy, qui viennent séjourner à Cravanche. En 1979 environ, la maison des Pères sera cédée à la municipalité et deviendra la mairie de la commune.
Avec les Pères, les Cravanchois construisent leur église.
C’est en 1953 qu’est lancée la construction du 1er lotissement de la Méchelle. En effet l’Alsthom embauche du personnel venant de tous les coins de France. La population autour de la Maison des Pères augmente. De ce fait la congrégation projette de construire une église à Cravanche. La mission est confiée aux Pères de Lyon, dont la vocation de bâtisseurs est reconnue, au Niger tout particulièrement. Le RP. Ratigner, prend la place du RP. Stocker. Il est accompagné du jeune Père Monnet.
En 1954, commence la construction de l’église, confiée à des bénévoles. Ceux-ci, pratiquant ou non la religion catholique, sont animés d’un enthousiasme certain. René Schigand fait partie de l’équipe, il garde un grand souvenir de cette épopée, en particulier des sympathiques casse-croûte du samedi. Fin 1957, la chapelle est terminée. Le RP. Duperrier vient en renfort pour promouvoir la vie religieuse.
Cette même année, l’équipe des bénévoles, partiellement renouvelée, entreprend l’installation d’une baraque en bois à côté de la chapelle. Il s’agit de disposer de salles destinées aux rencontres des jeunes, et au catéchisme. Cette baraque a été récupérée sur un chantier EDF, à Sigolsheim en Alsace. Elle sera utilisée jusqu’en 1963, en particulier pour héberger une famille de réfugiés algériens, avant d’être démolie l’année suivante.
En 1957, les bâtisseurs se remettent au travail avec le même enthousiasme, pour un nouveau projet : la construction derrière l’église, d’une salle des fêtes. Là encore, on récupère du matériel sur un chantier EDF à Ottmarsheim, en particulier des fermes métalliques qui vont constituer la charpente de la salle. La salle est terminée en 1960. Il ne reste plus qu’à trouver des sièges, ce qui est réalisé dans la foulée. Une équipe de huit hommes accompagnée par deux Pères partent à Montluçon durant un week-end , avec un semi-remorque, pour récupérer les fauteuils d’un cinéma en transformation.
De 1960 à 1970 environ, cette salle sert effectivement de salle de spectacles, de théâtre, puis plus tard de salle de cinéma ; trois locaux sont aménagés pour le catéchisme. Pour animer les activités, on fonde « l’Association d’Education Populaire ». Malheureusement, à partir de 1990, cette salle ne sera plus utilisée, ne répondant plus aux nouvelles normes de sécurité.
En 1962 le diocèse de Besançon devient propriétaire des lieux. L’époque des Pères à Cravanche prend fin.
Le 9 septembre 1962, l’abbé Louis Hograindleur devient le 1er Curé de la nouvelle paroisse. Il occupe la maison Coignus qui devient le presbytère. Les RP. Duperrier et Monnet partent rejoindre la mission du Niger. Le RP. Ratignier est nommé à Alger. Cependant, quelques Pères âgés, en particulier les RP. Marchon, Liénart et Roth, occupent encore la maison de Cravanche jusqu’en 1979, et règlent les derniers problèmes administratifs.
Depuis le premier Père, arrivé à Cravanche en 1934, alors que le village avait encore son caractère des plus rural, jusqu’au dernier des Pères en 1979 , quarante cinq ans d’histoire se sont écoulés. Les Pères ont accompagné les Cravanchois pendant la guerre ; ils ont été une référence, un soutien pour certains. Fidèles à leur vocation de missionnaires, ils ont préparé « Cravanche / la Méchelle » à devenir une paroisse à part entière. Ils ont aussi transmis de par leur engagement de missionnaires, une sensibilité à la solidarité internationale, , plus particulièrement une sensibilité pour les pays d’Afrique.